Retour vers le passé : La vie professionnelle est faite de cycles. J’ai rédigé ces deux billets, en hommage au rôle de coordinateur de proximité qui était le mien en 2010, au moment où j’atteignais une certaine aisance dans les fonctions de responsable de bibliothèque et cheftaine de projets, après 10 ans d’expérience professionnelle. Passée au cycle suivant, celui des fonctions de direction, je sais, plus que jamais, que rien ne peut se faire sans coordination de proximité, et qu’un(e) directeur(trice) est aveugle, sourd(e), muet(te) et impuissant(e) sans cadres investis, inventifs, responsables, au plus près des usagers, des équipes et des projets. [juin 2015]

Le sel des projets | le point de vue d’une responsable de BU en 2010

A vue de nez, à part me promener et taper des compte rendus de réunion, dans ces histoires de puces et de cotes D., je n’ai rien “fait”*. Or, sans quelqu’un tenant ce rôle impalpable, rien ne se serait fait. Bref, on touche là au mystère du management, grand mot dont on se gargarise volontiers dès qu’on vient de régler son compte au “conservateur”, ce scientifique des bibliothèques.

En fait, j’ai été managée, et j’ai managé des projets et la vie quotidienne en BU. Alors concrètement ça donne quoi ?

Comment je suis managée

J’ai été recrutée, me semble-t-il, pour mon intérêt pour le service (je suis une fan des rapports d’activité) et ses projets, après deux discussions informelles avec O. Tacheau et 2 visites in situ. Je suis arrivée en septembre 2007 dans un service doté d’objectifs explicites, dans le cadre du contrat quadriennal [Rapport 2006, p. 63]. Un intranet performant m’a permis de prendre connaissance des CR de réunions des 2 années précédentes et des principales procédures, tant de sécurité générale que plus techniques (SIGB, circulation, etc.) En plus du suivi quotidien des 2 BU qui m’étaient confiées, j’ai immédiatement été invitée à réfléchir à un projet à moyen terme, la recotation et à animer le groupe transversal “Horaires et Temps”.

Des outils de suivis de l’activité quotidienne étaient mis en place, tant quantitatifs (statistiques ARC, principaux indicateurs partagés dans l’intranet), que qualitatifs (Libqual en 2008).

Tous les 15 jours, j’ai pu discuter en réunion de direction de comment faire face aux projets en cours, et être informée ouvertement de toutes les questions relatives aux moyens, aux difficultés, aux autres services du SCD (Belle-Beille, bibnum etc.). J’ai également pu faire part des projets que je gérais et de mes difficultés. Impalpablement s’est instauré un rapport de confiance que le projet recotation a cristallisé : ne demandant jamais de moyens pour demander des moyens, j’ai obtenu rubis sur l’ongle des moyens complémentaires lorsque cela s’est révélé nécessaire.

Bref, j’ai le sentiment d’être soutenue au quotidien, de ne jamais être isolée ou abandonnée aux difficultés, mais de rester entièrement autonome lorsqu’il s’agit de prendre des décisions, y compris lorsqu’elles engagent des demandes de moyens.

Des banalités mais pas si répandues : grandes lignes d’un projet de service explicite + communication structurée + transparence + ouverture + confiance = action possible. On ajoute l’enthousiasme partagé de l’équipe de direction pour la bibliothèque lieu-service-fenêtre-porteouverte-équipe-compétences, et ça donne en plus un environnement où je suis heureuse de travailler, ce qui ne gâte rien.

Travailler avec :

… son Boss

credit photo : sanchtv Flickra) Le/la choisir. C’est, au sein de la FPE, la seule vraie occasion de choisir avec qui on va travailler. Plus facile qu’avec les autres ingrédients de la vie au travail parce qu’il n’y en a qu’un/e par établissement, et qu’en règle générale on est -au moins un peu- maître de ses propres mouvements de carrière et mutations. J’ai vu pas mal de collègues se focaliser sur la station de métro, le climat, la famille ou la fiche de poste et oublier qu’au quotidien le tempo est donné par le haut et que le bon management, comme le mauvais, ruisselle sur toute la pyramide de l’organisation.

b) lui demander d’expliciter le mode d’emploi et les marges de manoeuvre dont il/elle vous laisse disposer. De quoi doit on lui rendre compte a posteriori, de quoi doit on l’informer a priori, que doit-on soumettre à validation ? Doit-on privilégier un style formel ou détendu, le courrier, le mail ou le téléphone, la secrétaire ou l’adjoint ? Comprendre vite tout ça est le seul moyen d’établir la confiance, nécessaire pour tout le reste.

Voir aussi pour compléter mes lieux communs, un dossier court à lire et rigolo du journal du net, un bon billet sur  Troisième voie, un blog de management, ou une myriade de livres que vous trouverez tous seuls dans le SUDOC, bande de bibliothécaires que vous êtes.

… ses pairs

Là je me place du point de vue d’un “conservateur” faisant partie d’une “équipe de direction”, mais la même structure, en fractale, se retrouve à l’échelle de chaque service ou section.

c) considérer ses pairs comme des partenaires naturels. Comprendre leur rôle dans la bibliothèque, identifier là où les intérêts des services convergent et s’enrichissent. Que de bibliothèques où les chefs de section ne sont que rivaux, où la bibnum vit dans une tour d’ivoire, et où les acquéreurs se regardent en coin pour des miettes de budget !

d) Identifier les grands équilibres et jouer sa partie. Le Boss, tout omnipotent(e), compétent(e), bienveillant(e) qu’il/elle soit doit faire des choix et établir des calendriers, et il y a nécessairement des luttes d’influence : un CMS ou des chauffeuses confortables ? Les sciences ou le droit ? des moniteurs formation ou rangement ? Ne jamais ramener toute la couverture à soi (mauvais pour la bibliothèque dans son ensemble), sans jamais se faire oublier. Les autres ne joueront pas votre partie mais la leur. Parfois, le danger est d’être trop convaincant : avoir des projets communs facilite alors  la vie de tous !

… ses collaborateurs

e) Essayer de connaître les gens, de s’appuyer sur leurs qualités et de passer sur leurs défauts. Quels que soient les unes ou les autres,  faire avec, et aujourd’hui et demain, et se souvenir que pour beaucoup qu’ils étaient là avant soi et seront encore là après que l’on sera parti depuis longtemps. Ne pas oublier chaque individu, derrière la fonction qu’il occupe. Là aussi, lieux communs que tout ça, mais tout le reste s’appuie dessus.

f) Essayer de donner les moyens à chacun de comprendre ce qui s’est passé, ce qui se passe, ce qui va se passer.

Je passe une (pas assez ces temps-ci) bonne partie du temps de travail des autres à communiquer : temps d’entre-deux portes, toujours à recommencer ; réunions, dont au minimum une “de section” mensuelle, souvent trop longues  ;  CR de réunions systématiquement, trop longs, mais lus avec attention par certains et mon assurance face au leitmotiv “On m’avait rien dit, je-suis-pas-concerné”.

J’assume de plus en plus le bavardage, par lequel se noue la confiance, les entretiens professionnels de 3 heures où je reprends par le menu, avec chacun, un à un, les projets de l’année à venir, les calendriers, et sa place dans l’ensemble.  Revers de la médaille, c’est souvent en dehors du travail des autres que je fais le lien entre tout ça, que je maintiens la cohérence des calendriers et la possibilité d’offrir à chacun ma vue de généraliste qui connait un peu de tout et ne s’occupe vraiment de rien.

g) Se résigner à perdre le fil, à se tromper – et à le reconnaître, à se contredire, à être contredit(e). Faire, c’est faire des erreurs, et confronter les plans d’action aux autres et à la réalité, c’est savoir les infléchir.

Je suis savante, expérimentée à la hauteur de tous ceux qui travaillent avec moi. Coordonner la puissance de travail déployée par une équipe est loin d’être le boulot ingrat que pourraient laisser croire les nombreux guides de management-réduit-à-la-gestion-des-conflits-interpersonnels.

… Gaston*

e) être le Prunelle de quelque Gaston* : le sel du métier, l’occasion de pousser de loin en loin des grands scrogneufegneu (y compris contre soi-même). Franquin en a pondu 19 tomes, qui en disent plus drôle que je ne saurais le faire !

* Que personne avec qui je travaille ne le prenne pour lui. Gaston, c’est moi, c’est vous, c’est les cagibis trop pleins, c’est mon bureau, les clés baladeuses, les fausses bonnes idées, les classeurs de photocopies, les bobos du bâtiment, etc. Gaston, c’est l’entropie contre laquelle s’investit au jour le jour l’énergie de tout responsable…

Crédits photos : objet fractal, Sanchtv via Flickr ; Gaston à Grévin, Gilles Couteau via Flickr CC.

– Publié pour la première fois sur : http://archives.face-ecran.fr/tag/le-grain-nacl2/page/2/#sthash.CvHkajk1.dpuf

Le sel des projets : cadre de proximité