Le premier organisme vivant artificiel est né. Il ne reste plus qu’à se poser les bonnes questions.

Une équipe de chercheurs Américains a publié dans la prestigieuse revue Science un travail consistant à créer une bactérie artificielle, ou plus exactement une bactérie dont le génome est artificiel.
En substance, ils ont introduit dans une bactérie existante un brin d’ADN artificiel, c’est-à-dire dont la séquence est totalement non naturelle. Le travail a consisté à concevoir par ordinateur une séquence viable, à  fabriquer le double brin d’ADN correspondant, à l’introduire dans une bactérie, et à vérifier que la bactérie se comportait comme un être vivant. Après de nombreux essais et modifications, ils sont finalement parvenus à une bactérie réellement vivante, c’est-à-dire capable de se diviser et de fonctionner comme une bactérie naturelle.

Un compte rendu « grand public » du travail est disponible (en Anglais) sur le site de Science ici.

Les chercheurs insistent sur les aspects positifs du travail, et envisagent déjà de concevoir des bactéries capables de transformer le dioxyde de carbone en carburant, de permettre la fabrication de vaccins originaux, etc. C’est sans nul doute un magnifique travail, et ses applications potentielles sont presque infinies.

Il y a quand même quelques raisons d’être légitimement inquiet. D’abord, l’identité des chercheurs : l’équipe est dirigée par Craig Venter, un biologiste sans nul doute très doué (il a été l’un des premiers à séquencer entièrement un microorganisme), mais ses motivations sont un peu ambiguës. Craig Venter a refusé de participer à l’entreprise internationale de séquençage du génome humain, et a préféré mener son propre séquençage privé, sans se cacher de vouloir breveter les gênes découverts. Le brevetage du vivant me gêne passablement, mais lorsqu’il s’agit de mes gênes, je suis franchement agacé. Avec la modestie qui le caractérise, Venter n’a pas séquencé le gêne d’un quidam, mais le sien propre (autant prendre celui d’un génie, hein !) ; d’ailleurs ses travaux sont fait au Venter Institute, dans le Maryland (autant donner tout de suite le nom d’un génie vivant à un institut de recherche). Enfin, il n’a jamais caché son ambition de devenir immensément riche à l’aide de ses découvertes.
D’autre part, les financements du Venter Institute sont tout sauf désintéressés : entreprises pharmaceutiques, compagnies pétrolières, etc (source : the Independent).

Enfin, et je crois que c’est le plus inquiétant, on ne parle pas du tout des dangers inhérents à la création d’un être vivant totalement artificiel. Je suis tout sauf opposé à la recherche scientifique, et je n’ai aucun a priori sur la recherche génétique. Cependant, je suis farouchement convaincu que cela nécessite un vaste débat portant à la fois sur l’éthique de telles recherches, et sur les risques qu’elles comportent. Le propre d’une bactérie, c’est de pouvoir muter. Que signifie qu’on envisage de retraiter des eaux polluées avec des bactéries artificielles ? Qu’on laisse proliférer en liberté lesdites bactéries dans les eaux à retraiter ? Qu’arrive-t-il si elles se recombinent avec des germes pathogènes ?  Que signifie qu’on fabrique des bactéries pour éponger une marée noire ? Qu’on les largue par milliards dans l’océan ? Et après, que deviennent-elles ? Il est possible qu’il n’y ait pas de danger, ou pas de danger plus important qu’avec n’importe quel microorganisme naturel ; mais ce serait quand même mieux si on prenait la peine d’y réfléchir.
Encore une fois, je ne dis pas que cela doive faire arrêter toutes les recherches sur le sujet. Mais je déplore qu’une fois de plus, les avancées génétiques soient réalisées pour des intérêts privés et sans aucun débat sur leurs implications.