La petite île italienne de Lampedusa est à la mode dans les media ces temps-ci.
Ca m’a fait penser à Giuseppe Tomasi, duc de Palma et prince de Lampedusa, auteur italien d’un unique mais magistral roman : Le Guépard (dans la langue de Dante : Il Gattopardo), édité au Seuil dans une nouvelle traduction, mais également disponible en collection de poche du Seuil. Tout dépend si vous préférez regarder, sur la couverture, le beau Burt Lancaster dans l’âge mûr ou la magnifique Claudia Cardinale à 20 ans (Note d’avril 2017 : cette édition avec Claudia Cardinale semble ne plus exister).
Le héros du Guépard est le prince Salina, un vieil aristocrate sicilien dont les armes sont un guépard d’où le nom du roman, et vivant au milieu du 19è siècle. Le vieux monde, celui de la noblesse, de ses terres et de ses paysans en quasi servitude, est en train de s’effondrer. C’est, pour l’Italie, le temps de l’unification du pays par Garibaldi, et le début de la domination économique et politique par la bourgeoisie roturière. C’est le même phénomène qui s’est produit en France à la fin du 18è siècle et en Grande Bretagne encore un siècle plus tôt.
Le prince Salina est un noble jusqu’au bout des ongles : de grande culture, astronome et mathématicien amateur, un gentilhomme dans tous les sens du terme. Il méprise profondément la bourgeoisie qui peu à peu prend le pouvoir, constituée de nouveaux riches incultes et arrogants, bouffis d’argent et ne respectant pas les bonnes vieilles valeurs. Mais son neveu Tancrède, aristocrate ruiné, le convainc de se rallier aux garibaldiens, seule façon à ses yeux pour que l’aristocratie conserve ce qui lui reste de puissance, pour que « tout change pour que rien ne change » selon la formule magnifique qu’il emploie pour convaincre son oncle. Et Tancrède, joignant l’utile à l’agréable, épouse la magnifique fille du plus riche bourgeois du patelin.
Giuseppe Tomasi di Lampedusa a largement puisé dans ses propres souvenirs et dans son histoire familiale pour dresser le portrait du prince Salina, inspiré du propre grand-père de l’auteur. Cela donne un ton extrêmement juste au contexte du roman : la campagne sicilienne et ses paysans misérables, les centaines de pièces du palais familial, dont la plupart sont à l’abandon, la personnalité du prince enfin, dont on en peut en définitive qu’admirer la stature. L’antépénultième chapitre, sur la mort du Prince, constitue parmi les meilleures pages que j’ai jamais lues sur une agonie.
Et pour me faire pardonner de n’avoir pas assuré la chronique livre au mois de mars, je vous offre en prime le film éponyme : Le Guépard, de Luchino Visconti, avec dans le rôle du prince Salina Burt Lancaster dans un de ses meilleurs rôles (mais moins beau, je vous l’accorde que dans Les Tueurs, où il avait largement 20 ans de moins, sans compter qu’il y était le partenaire d’Ava Gardner dans la fleur de son âge, mais je m’égare), Alain Delon dans le rôle de Tancrède (Alain Delon jeune, je précise), et Claudia Cardinale renversante (madame Lapin va décidément me tirer les oreilles). Le film est, et c’est quand même suffisamment rare pour être noté, aussi bon que le livre. D’abord, la nature même de l’intrigue historico-politique est parfaitement respectée, l’ambiance sicilienne est criante de vérité, et la mise en scène est tout aussi magistrale que la structure du roman, culminant dans la scène du bal (durant environ 3/4 d’heure), culte chez nombre de cinéphiles. Le film a été très justement récompensé par la palme d’or à Cannes en 1963.