Je ne sais pas si mes élèves lisent mes « chroniques » littéraires, mais je sais de source sûre qu’au moins un parent d’élève le fait. Je me sens donc dans l’obligation de poursuivre avec un presque roman mais pas tout à fait, ou plutôt un récit romancé d’une aventure parfaitement vraie.
A la fin de la deuxième guerre mondiale, un certain nombre de soldats allemands capturés par l’armée soviétique ont été déportés en Sibérie dans des camps de travail, usuellement après avoir signé divers aveux selon une pratique particulièrement bien au point à l’époque stalinienne. Après son retour en Allemagne, un de ces soldats a livré le récit de sa déportation en Sibérie au journaliste, Joseph Martin Bauer. Celui-ci en a fait un récit romancé, paru en Français sous le titre Aussi loin que mes pas me portent, paru dans l’excellente collection libretto.
Le soldat en question, désigné sous le nom de Forell (il n’a pas voulu que son vrai nom apparaisse), a donc été déporté de Moscou jusqu’au cap oriental. C’est où ? Eh bien très exactement à l’autre bout de l’Union Soviétique : c’est la côte ouest du détroit de Bering, en face de l’Alaska. Le voyage s’est fait en train jusqu’à Tchita (un peu au-delà du lac Baïkal), puis en traineau, puis à pieds en plein hiver. Durée : 1 an et beaucoup de morts en route.
Le camp est une mine de plomb : quelques baraques et 8 galeries creusées dans la montagne (par des déportés précédents), composées d’un étroit boyau menant à une vaste salle d’où partent les galeries de la mine proprement dite. Les prisonniers logent dans la vaste salle, ce qui permet de ne les faire garder que par un seul homme, posté à l’entrée du boyau. Les conditions de travail sont très dures, le climat très rude (on est sur le cercle polaire arctique), les prisonniers sont enfermés des semaines d’affilée dans leur trou, et surtout ils manipulent du minerai de plomb, très toxique, et il est évident qu’aucun ne pourra survivre à leur peine qui est de 25 ans. Ce n’est cependant pas un camp d’extermination. Les gardiens sont globalement des bons bougres et nullement des bourreaux sadiques. C’est juste qu’une mine de plomb est en soi mortifère, et que, comme partout ailleurs en Union Soviétique au sortir de la guerre, on ne crevait pas sous l’abondance de nourriture.
Là où l’histoire change franchement de cours, c’est lorsque le médecin du camp, qui est aussi un prisonnier de guerre allemand, mais qui, du fait de sa fonction, ne travaille pas dans la mine et a une certaine liberté de mouvement, diagnostique qu’il a un cancer du colon, incurable, et qu’il n’en a que pour quelques mois à vivre. Or, il avait patiemment rassemblé tout un équipement en vue de son évasion. Il choisit alors le prisonnier qui lui parait le plus à même de mener à bien une évasion : le plus costaud et le plus déterminé (il a déjà tenté de s’évader mais a été repris au bout de 3 jours), et à l’occasion du passage de celui-ci à l’infirmerie, il l’équipe et organise son évasion.
On se souvient bien : on est sur le cercle polaire arctique et au plus loin du plus loin qu’on puisse atteindre en Sibérie. Le plus court chemin vers l’évasion est évidemment de traverser le détroit de Bering et d’arriver en Alaska. Mais cette voie n’est pas envisageable : un prisonnier l’a déjà empruntée, et les Américains l’ont remis aux Soviétiques (oui, dans les années 40, l’ennemi des Américains, ce n’était pas les Soviétiques mais les Allemands). Forell part donc pas voie de terre en plein hiver (c’est bien plus facile de se déplacer en Sibérie en hiver quand tout est gelé, y compris les marécages et les fleuves), dans un périple qui va durer plus de deux ans, et qui le conduira finalement à traverser la frontière entre l’Azerbaidjan et l’Iran, alors contrôlée par les Britanniques.
Ce qui lui arrive est tout bonnement incroyable. Il commence par tomber dans un fleuve glacé et manque de mourir, est caché par des éleveurs de rennes, voyage avec d’autres prisonniers évadés d’une mine d’or, manque de mourir tué par l’un d’entre eux pour une sombre histoire de pépite d’or, est sauvé in extremis d’une meute de loup par d’autres éleveurs de rennes, se fait passer pour un déporté balte récemment libéré et sur le chemin du retour, manque de se faire tuer à la frontière mongole, etc etc. Les aventures de Forell sont tout simplement inimaginables de hasard, de souffrance, de désespoir, mais on se demande quand même s’il ne finit pas par aimer d’une certaine façon la Sibérie.
Un roman d’aventures marquant, qu’il est impossible de lâcher, bien plus palpitant que bien des romans d’aventures abracadabrantes et inventées de toutes pièces
Certains anciens (au moins un!) lisent aussi les chroniques avec beaucoup d’intérêt !
merci pour cette reprise!
et d’autres pas encore ancien les lisent en attendant d’avoir le temps de dévorer vraiment les livres!