Le roman du mois de janvier

Le mois de janvier est déjà fini depuis belle lurette, mais tant pis. Je vous propose ce mois-ci un livre épatant quoique pas rigolo du tout, mais alors pas du tout. Il ne s’agit pas d’une autobiographie au sens strict, mais d’une fiction basée sur le récit de sa vie qu’un soudanais réfugié aux Etats-Unis a fait à un écrivain américain, Dave Eggers. Ce Soudanais fait partie de la communauté chrétienne qui vit au sud du Soudan, et qui s’est trouvée prise dans la guerre civile qui a opposé le pouvoir central aux mains de Musulmans extrémistes à la rébellion chrétienne tout aussi peu civilisée, et qui a aboutit a une autonomie relative du sud Soudan vis-à-vis du nord. Cette guerre civile a été suivie, plus récemment, de la guerre au Darfour, et est loin d’être totalement terminée, puisque le sud Soudan est riche en pétrole.

Le protagoniste du récit, Achak, s’est enfuit de son village lors d’une razzia opérée par des miliciens du nord du pays, manipulés par le pouvoir central. Ces miliciens avaient un double but : emmener des femmes et des enfants en esclavage (si, si, ça existe encore) et récupérer les paturages pour leur propre bétail. Achak est donc parti seul, en laissant pour morts ses parents et ses frères et soeurs (ses parents ont en fait survécus). Il s’est joint à un groupe d’enfants fuyant comme lui vers le sud et une hypothétique terre d’accueil. Ce qu’il a vécu est inimaginable, surtout à notre époque. Lorsqu’il raconte que les lions venaient se servir dans la file des enfants sous-nourris et tenant à peine debout, ou que celui qui nageait à côté de lui en traversant un fleuve a été mangé par un crocodile, on croit rêver. Absolument pas larmoyant ni pathétique, ce livre raconte le quotidien d’un orphelin dans les camps de réfugiés, en Ethiopie puis au Kénya, la survie grâce aux combines et aux bidouilles, l’absence d’avenir, les filles mariées contre argent, l’espoir d’être accueilli aux Etats-Unis, et une certaine désillusion une fois arrivé là-bas.

C’est un livre très bien écrit, très intéressant. Il met du concret sur ce qui reste assez totalement abstrait malgré les fugaces images qu’on peut en avoir : c’est quoi la vie dans un camp de 100 000 réfugiés ? Passionnant, mais pas drôle du tout.

Le grand Quoi, de Dave Eggers, disponible chez Gallimard en collection folio.