Quelques livres sur le loup pour le mois de mai

J’ai une certaine sympathie pour le loup, dont je conviens qu’elle est d’autant plus facile à avoir qu’on n’en rencontre pas tous les jours. Cela dit, le mythe du loup mangeur d’homme et fauve incompatible avec la civilisation est malmené ces temps-ci. Cela fait bientôt 100 ans que le loup a été éradiqué de France, avant de revenir récemment d’Italie, pays dont il n’a jamais complètement disparu, sans pour autant que l’élevage se soit révélé impossible. Les éleveurs des Apennins se sont toujours accommodés de sa présence, parce qu’ils ont choisi non pas de réclamer à cor et à cri son élimination, mais parce qu’ils ont pris sa présence en considération et adapté leurs pratiques, y compris en termes d’assurance. Le rôle du loup et des grands carnivores en général n’est plus à démontrer. Ainsi, le loup a-t-il été réintroduit dans plusieurs parcs naturels de Etats-Unis, par exemple celui de Yellowstone, pour réguler les troupeaux d’herbivores qui proliféraient de façon anarchique. Notons enfin que les sources historiques qui montrent de façon indubitable qu’un homme a été attaqué et tué par un loup sont rarissimes voire nulles. En fait, on est bien en peine d’exhiber un seul document fiable relatant un tel fait ! De toutes façons, ces histoires datent toutes ou presque du 17è siècle, connu pour son climat particulièrement rude (c’est le « petit âge glaciaire » durant lequel le vin gelait jusque dans le verre du Roi à Versailles), et durant lequel les loups autant que les hommes crevaient la dalle. La situation en France aujourd’hui n’est en rien comparable.

Le loup est, du fait du hasard de mes lectures, également l’occasion de faire de la publicité pour des éditeurs que j’apprécie, parce qu’ils continuent à publier des livres dont le succès est aléatoire, mais dont l’intérêt est manifeste.

Belin édite ainsi des monographies à destination du grand public consacrée chacune à un animal particulier (mammifère ou oiseau). Le Loup, écrit par Vincent Vignon qui spécialiste de la question, est un excellent ouvrage qui montre tout à la fois le comportement de cet animal et les relations qu’il entretient actuellement avec l’homme en France ou dans les pays voisins. Il montre également ce que signifie étudier un animal sauvage et farouche, avec les brèves rencontres, les affuts interminables, etc, bref tout ce qui parait inconcevable à mon impatience légendaire. Les livres de cette collection (collection Approche) sont très sérieux, avec chiffres, faits, dates, références bibliographiques récentes.

Le Loup hurle-t-il à la Lune, édité dans la collections Clés pour comprendre des éditions Quae, est plus général, puisqu’il répond à près de 200 questions sur les carnivores en général. J’avoue que je ne m’étais jamais posé certaines d’entre elles, par exemple : « Y a-t-il une réelle dépendance des blaireaux à l’égard des lombrics ? » (ah ? la question se posait ?) ou « Qu’est-ce qu’un binturong ? » (mais là c’est parce que je SAIS déjà ce qu’est un binturong, même qu’on peut en voir un à la ménagerie du Jardin des Plantes si du moins cela n’a pas changé).
J’insiste sur la qualité des livres édités par Quae, maison d’édition du CIRAD, de l’IFREMER, de l’INRA et de l’IRSTEA : mise en page impeccable, illustrations de qualité, texte intéressant. C’est l’exemple même de la supériorité du livre papier sur le livre électronique. Un plaisir.

Enfin, je ne peux que vous recommander chaudement la lecture de l’extraordinaire récit de Pierre Jouventin, Kamala, une louve dans ma famille, édité chez Flammarion. Commençons par préciser qu’apparemment le livre n’est plus en rupture de stock, ce qui vous permettra de l’acquérir pour la très raisonnable somme de 21 euros, bien loin des 120 voire 315 euros que j’ai vu demandés par des vendeurs d’occasion lorsque le livre était épuisé.
Pierre Jouventin n’est pas n’importe qui, puisqu’il a été directeur d’un laboratoire d’éthologie du CNRS, a fait de nombreuses campagnes d’études sur les singes dans la forêt tropicale africaine et sur les manchots en Terre Adélie, et qu’il est à l’origine de la création de la réserve marine des Terres Antarctiques et Australes Françaises, sise autour des îles françaises de l’Océan Indien (Saint-Paul, Amsterdam, les Iles Crozet, l’archipel des Kerguelen). Ajoutons qu’il est le découvreur de plusieurs espèces de vertébrés inconnues jusqu’alors, ce qui n’est quand même pas très courant aujourd’hui (découvrir des nouvelles espèces d’insectes ou de vers, c’est encore facile aujourd’hui, il suffit d’aller ratisser un mètre carré de forêt tropicale, mais des oiseaux ou des mammifères encore inconnus, c’est rare). Bref, un grand monsieur.
Dans les années 60, Pierre Jouventin, dans l’enthousiasme de la jeunesse et avant que la loi n’interdise formellement l’adoption d’animaux sauvages, a décidé d’adopter une louve nouvelle née au zoo de Montpellier et destinée à l’euthanasie, et de l’élever avec sa femme et son fils dans leur appartement de trois pièces du centre de Montpellier. Au-delà de l’histoire en elle-même, c’est l’analyse de l’éthologue (un éthologue étudie le comportement des animaux, pour les hommes on dit plutôt sociologue ou psychologue ou psychiatre quand ça commence à aller mal) qui est intéressante. Comment une louve peut-elle s’intégrer dans une famille humaine. Eh bien en fait, très bien : une famille, c’est l’équivalent humain d’une meute. Le comportement de Kamala, la louve de Pierre Jouventin, l’amène à conclure qu’un loup est un animal nettement plus policé et altruiste qu’un homme, plein de savoir vivre et prêt à payer de sa personne pour sauver les autres membres de la meute. Bref, il n’y a aucun doute à avoir : le loup est l’animal le plus proche de l’homme ! Fascinant.
Notons que Pierre Jouventin ne cache nullement le danger qu’il y a à élever un animal sauvage comme un loup, et qu’il n’encourage nullement la chose. D’ailleurs, et comme il le rappelle, la loi française interdit dorénavant la détention ou le prélèvement de tout animal non domestique, en particulier s’il fait partie de la liste des espèces protégées. Rappelons que c’est le cas du loup, auquel un site gouvernemental est dédié ici.