L’essai du mois

En guise de lecture faussement amusante, mais vraiment instructive, je vous propose l’essai de Guy Bechtel, historien de profession, intitulé Délires racistes et savants fous (éditions Plon, disponible en format poche dans la collection Agora de Pocket).

Ce petit livre retrace les travaux de trois médecins de la fin du 19è siècle.
– Le Dr Lumbroso, italien, a décrit le « criminel » type comme un humain ayant (selon lui) le cerveau de la taille d’une orange et la machoire saillante, montrant qu’il n’est rien qu’un singe dégénéré.
– Le Dr Binet-Sanglé s’est intéressé à Jésus, pour montrer qu’il était tuberculeux, alcoolique, obsédé sexuel et autre.
– Le Dr Bérillon, lui, s’est attaché à démontrer que l’Allemand est en tout  point inférieur au Français. Entre les guerre de 70 et celle de 14, c’était quand même tentant. Il a ainsi mis en lumière que l’Allemand produit plus de matière fécale que les autres européens, ce qui, quand même, le place (je parle de Bérillon) à un niveau nettement inférieur à celui d’une cour de récréation d’école primaire.

Ce livre met en évidence comment des présupposés racistes, antisémites, xénophobes et européanocentrés, permettent à des personnes ayant une formation scientifique d’arriver à dire littéralement n’importe quoi. Bien entendu, il n’est pas difficile de montrer que les prétendus résultats de ces prétendus savants sont totalement faux : données statistiques truquées, sélection des échantillons pour parvenir à un résultat plus conforme à ce qu’on attend, etc.
Ce qui est troublant, c’est de s’apercevoir que ces médecins étaient, dans l’ensemble, des esprits plutôt modernes, et qu’ils étaient fermement convaincus de faire avancer la science. C’était la pleine période du scientisme  (croyance en la toute puissance de la science), et force est de constater, qu’en science, comme dans les autres domaines, le dogmatisme mène à l’intégrisme, et par voie de conséquence au pire.

Plus inquiétant est l’accueil qui a été fait à ces travaux. Ceux de Bérillon ont eu du succès en France, à une époque où l’ennemi était le « Boche ». Même des esprits éclairés ont réellement cru aux calembredaines ridicules et scatologiques de Bérillon, heureusement tombé aux oubliettes. Le cas du Dr Lumbroso est plus dérangeant, car il a eu un succès considérable et a durablement influencé la pratique criminologique et judiciaire aux Etats-Unis. Détecter les criminels en regardant la forme de leur tête, c’est tellement plus facile et reposant ! A une époque où certains prétendent détecter les futurs criminels dès l’école primaire (oh mais voyons ! ça doit être dans un pays barbare des antipodes !), ça doit faire réfléchir.