L’essai du mois de janvier

Au menu de ce mois, je vous propose un essai de Stephan H. Lindner intitulé Au coeur de l’IG-Farben – L’usine chimique de Hoechst sous le Troisième Reich, dont la traduction française (je vous épargne l’original en Allemand) est éditée par la vénérable maison des Belles Lettres.

Au Cœur de l'IG Farben. L'usine chimique de Hoechst sous le Troisième Reich

Cet essai décrit de façon succincte les origines de la société chimique Hoechst, la troisième plus importante entreprise chimique allemande du début du 20è siècle, et son regroupement avec les deux autres entreprises chimiques majeures (BASF et Bayer) dans le conglomérat IG-Farben en 1925.
La partie la plus importante concerne les rapports de l’usine Hoechst avec le régime nazi. La gestion du personnel, les rapports avec les autorités, avec le parti nazi et avec la Gestapo sont décryptés. Il en ressort que la plupart des décisions, pour certaines terribles de conséquences (licenciements, dénonciation), prises par les dirigeants de l’entreprise, l’ont été non pas sur des motifs strictement politiques, mais sur des motifs purement économiques. Certes, les dirigeants étaient des nazis bon teint (et pour certains des antisémites notoires), mais leurs décisions concernant la gestion de l’usine ont toujours été guidées par l’intérêt de l’entreprise : organiser sa survie, maximiser ses profits, rafler les parts de marché (y compris bien entendu dans l’industrie de guerre), utiliser des prisonniers civils (appelons-les par leur nom : des esclaves) comme main d’oeuvre quasi-gratuite. Cela supposait évidemment un alignement sur les autorités. Mais cet alignement n’était pas total. Un chercheur juif pouvait être provisoirement épargné et protégé parce qu’il représentait un atout irremplaçable pour l’entreprise. A la réflexion, cela est encore moins rassurant que si les dirigeants avaient simplement été des nazis fanatiques, car cela montre (si tant est qu’il fût encore nécessaire de le montrer) qu’en matière économique, et plus exactement dans l’économie capitaliste, aucune règle morale n’existe plus. Malheureusement, on ne voit pas bien ce qui pourrait avoir changé depuis cette époque.
Dans une troisième courte partie, l’auteur apporte les preuves de ce qui a été longtemps nié par Hoechst, à savoir que l’entreprise a organisé des essais cliniques sur des déportés au camp de Auschwitz. Essais d’ailleurs sans aucun intérêt, puisque les substances testées avaient déjà été écartées préalablement par des tests antérieurs comme étant insuffisamment efficaces ; mais voilà, il fallait bien trouver une utilité à ces molécules qu’on avait fabriquées… En pratique, il s’agissait d’infecter des déportés par le typhus, puis d’administrer les substances à tester. Outre l’absurdité de faire de tels tests sur des populations particulièrement fragilisées, et le manque de rigueur scientifique avec lequel ils ont été menés, le consentement des cobayes était bien évidemment purement et simplement omis.
Enfin dans une dernière partie, l’auteur décrit les suites de la guerre pour l’entreprise. Les cadres dirigeants ont quasiment tous été acquités et ont coulé des jours paisibles jusqu’à leur mort. Certains ont bien fait une petite déprime d’avoir été écarté de leurs postes par les autorités américaines, les pauvres. Ceux qui ont été condamnés ont été bien vite libérés, et pour la plupart, ont retrouvé un poste dans l’une ou l’autre des entreprises chimiques issues du démembrement de l’IG-Farben par les Alliés. Le correspondant de la Gestapo à l’usine Hoechst, par exemple, a fini sa carrière comme directeur d’une usine du groupe. Curieusement, en revanche, les personnes licenciées pour avoir été jugées peu enthousiastes pour le régime ou tout simplement juives, ont eu plus de mal à retrouver une place. Ne daubons pas trop, c’est arrivé aussi chez nous.

Une excellente étude, basée sur un travail méticuleux de dépouillement des archives, un vrai travail d’historien.