Retour à l’histoire ce mois-ci, avec un court essai de Georges Duby, Le dimanche de Bouvines, disponible en format poche dans la collection folio histoire.
A Bouvine, le 27 juillet 1214, Le roi de France Philippe Auguste remporte une victoire éclatante sur l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Othon, et ses alliés. Cet événement est l’une des dates marquantes de l’histoire de France, puisqu’elle a affermi de façon considérable le prestige et le pouvoir des Capétiens, au point de faire d’eux et jusqu’à la mort de Philippe le Bel cent ans plus tard, les souverains les plus puissants d’Europe.
Georges Duby, ancien professeur au Collège de France, est un des grands historiens de la période médiévale. Dans cet ouvrage, l’événement (la bataille de Bouvines) et le contexte historique sont intimement liés l’un à l’autre. En cela, Duby, comme d’autres historiens de sa génération, se démarque de la description de l’histoire par le petit bout de la lorgnette (l’histoire vue comme une suite de faits dissociés les uns des autres) autant que de la vision de l’histoire totalement globale dans laquelle les événements ponctuels sont considérés comme n’ayant pas d’importance fondamentale (une vision un peu marxiste de l’histoire en somme).
Pour commencer, Duby décrit avec minutie les sources sûres ou moins sûres qui nous renseignent sur l’événement: qui était là? avec quel armement? et reproduit le témoignage de Guillaume Le Breton, qui était présent à la bataille. On comprend tout le problème de l’historien de retrouver la réalité d’un événement dans le fatras des sources souvent lacunaires, et dont la plupart ne relatent pas les faits de façon objective (si même cela était possible) mais dans un but clairement hagiographique (du côté Français, toutes les sources concordent : cet événement est le signe de la suprématie du Roi de France).
Dans une seconde partie, il fait un commentaire d’historien moderne, c’est-à-dire de façon dépassionnée par rapport à l’événement. Pour cela, il commence par replacer la bataille dans le contexte de l’époque : qu’est-ce que faire la guerre au Moyen-Age ? selon quelles règles ? que se passe-t-il lors d’une bataille ? et que signifie la gagner ? quelles en sont les conséquences politiques et surtout financières ? En fait, la bataille est un fait rare, surtout lorsque deux souverains y participent. La plupart du temps, la guerre se fait sans combat, à coup d’intimidation et de palabres. Et lorsque la bataille est inévitable, c’est surtout la piétaille qui s’entretue, les nobles combattent comme au tournoi, avec pour but principal de faire des prisonniers parmi les nobles ennemis. En effet, gagner une bataille est avant tout une affaire de gros sous : les prisonniers sont échangés contre rançon. A Bouvines, des centaines de chevaliers se sont affrontés, mais les morts parmi eux se comptent sur les doigts d’une main ! En revanche, les nombreux prisonniers faits par l’armée du Roi de France a rapporté à celui-ci et à ses vassaux des sommes considérables, faisant de Philippe Auguste à la fin de son règne, puis de ses successeurs des rois riches et donc puissants.
Enfin, le dernière partie est consacrée à ce que la suite de l’histoire a fait de cette bataille. L’école de la République (la IIIè pour commencer) a fait de cet événement un fait marquant de l’histoire de France ; c’est une victoire éclatante contre l’ennemi de toujours, les Allemands. En 1914, il a été fêté en grande pompe le 700è anniversaire de Bouvines, cela allait bien dans le contexte.
Ce livre est passionnant à plus d’un titre, car il met montre bien à quel point notre vision du Moyen-Age (je veux dire celle qu’ont les non historiens tels que moi) est totalement biaisée et déformée par la façon dont l’histoire est racontée aux enfants.