Daily Archives: 22 février 2010

Le roman du mois

En fait, trois romans, et même quatre, pour le prix d’un. Je vous propose la trilogie de C. Nordhoff et J.N. Hall sur l’odyssée de la Bounty, édité dans l’excellente collection libretto des excellentes éditions Phébus. Un millier de pages haletantes et passionnantes, impossibles à lacher, contant de façon romancée (c’est une fiction) mais extrêment bien documentée (les auteurs ont fait des recherches approfondies dans les archives disponibles) les aventures des protagonistes de la Bounty.

Dans le premier tome, Les Révoltés de la Bounty, on suit le vaisseau La Bounty (le nom réel du navire était la Bethia) dans ses tribulations à partir de l’Angleterre jusqu’à Tahiti, sous la férule de son inflexible commandant, le capitaine Bligh, une ordure de la pire espèce, jusqu’à la mutinerie dirigée par le second du navire, le capitaine Christian.

Dans le second tome, Dix-neuf hommes contre la mer, on suit l’incroyable parcours du capitaine Bligh et des membres de  l’équipage opposés à la mutinerie, abandonnés à leur sort par les mutins : 8000 km en 42 jours, dans une chaloupe non pontée contenant 19 hommes, pratiquement sans vivre et sans eau douce ! montrant par là que l’infâme Bligh était aussi un navigateur exceptionnel.

Dans le troisième tome, Pitcairn, c’est au sort des mutins qu’on s’intéresse. Poursuivi par toutes les marines du monde (quand il s’agissait de mutinerie, tout le monde était d’accord … du moins dans les états-majors), ils n’avaient d’autre possibilité que disparaitre. Ils se sont installés sur Pitcairn, une petite île totalement perdue au milieu de nulle part dans le Pacifique sud (prenez un atlas), avec des Tahiciennes cueillies en passant. Leurs descendants ont été retrouvés par un navire américain plusieurs décennies plus tard. Des interrogations demeurent cependant, car l’épave du navire n’a pas été retrouvée, et divers indices incitent à pense que le capitaine Christian ne s’est pas arrêté à Pitcairn.

Par la même occasion, je vous signale que Robert Merle a écrit une version également romancée du sort des mutins sur Pitcairn, dans un excellent roman, l’Ile (éditions Gallimard, disponible en folio).

Lecture conseillée pour oublier un peu le travail !

L’essai du mois

En guise de lecture faussement amusante, mais vraiment instructive, je vous propose l’essai de Guy Bechtel, historien de profession, intitulé Délires racistes et savants fous (éditions Plon, disponible en format poche dans la collection Agora de Pocket).

Ce petit livre retrace les travaux de trois médecins de la fin du 19è siècle.
– Le Dr Lumbroso, italien, a décrit le « criminel » type comme un humain ayant (selon lui) le cerveau de la taille d’une orange et la machoire saillante, montrant qu’il n’est rien qu’un singe dégénéré.
– Le Dr Binet-Sanglé s’est intéressé à Jésus, pour montrer qu’il était tuberculeux, alcoolique, obsédé sexuel et autre.
– Le Dr Bérillon, lui, s’est attaché à démontrer que l’Allemand est en tout  point inférieur au Français. Entre les guerre de 70 et celle de 14, c’était quand même tentant. Il a ainsi mis en lumière que l’Allemand produit plus de matière fécale que les autres européens, ce qui, quand même, le place (je parle de Bérillon) à un niveau nettement inférieur à celui d’une cour de récréation d’école primaire.

Ce livre met en évidence comment des présupposés racistes, antisémites, xénophobes et européanocentrés, permettent à des personnes ayant une formation scientifique d’arriver à dire littéralement n’importe quoi. Bien entendu, il n’est pas difficile de montrer que les prétendus résultats de ces prétendus savants sont totalement faux : données statistiques truquées, sélection des échantillons pour parvenir à un résultat plus conforme à ce qu’on attend, etc.
Ce qui est troublant, c’est de s’apercevoir que ces médecins étaient, dans l’ensemble, des esprits plutôt modernes, et qu’ils étaient fermement convaincus de faire avancer la science. C’était la pleine période du scientisme  (croyance en la toute puissance de la science), et force est de constater, qu’en science, comme dans les autres domaines, le dogmatisme mène à l’intégrisme, et par voie de conséquence au pire.

Plus inquiétant est l’accueil qui a été fait à ces travaux. Ceux de Bérillon ont eu du succès en France, à une époque où l’ennemi était le « Boche ». Même des esprits éclairés ont réellement cru aux calembredaines ridicules et scatologiques de Bérillon, heureusement tombé aux oubliettes. Le cas du Dr Lumbroso est plus dérangeant, car il a eu un succès considérable et a durablement influencé la pratique criminologique et judiciaire aux Etats-Unis. Détecter les criminels en regardant la forme de leur tête, c’est tellement plus facile et reposant ! A une époque où certains prétendent détecter les futurs criminels dès l’école primaire (oh mais voyons ! ça doit être dans un pays barbare des antipodes !), ça doit faire réfléchir.