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L’essai du mois d’octobre

J’ai du retard dans mes conseils de lecture, et je m’en excuse auprès de tous mes fans, qui se précipitent mois après mois pour acheter les fabuleux livres dont je parle.

Histoire de changer un peu de discipline, je recommande ce mois-ci un livre facile et qu’on peut lire aisément dans le métro, puisqu’il est composé de chapitres indépendants et très courts. Il s’agit de : Les animaux célèbres, de Michel Pastoureau, édités chez Bonneton. Les références sont sur cette page.

L’ouvrage traite de quelques animaux célèbres, qu’ils soient mythologiques (les animaux de la Genèse, le Minotaure, le cheval de Troie), qu’ils soient réels (l’élephant offert à Saint Louis par le sultan d’Egypte, la truie jugée et condamnée à mort à Falaise en Normandie pour avoir tué un enfant), ou qu’ils soient artistiques (le Rhinocéros représenté par Dürer, Mickey, Milou), le dernier évoqué étant Dolly, la première brebis clonée. Pour chacun d’eux, Michel Pastoureau discute de la symbolique qu’il véhicule : pourquoi cet animal plutôt qu’un autre, comment il est perçu par les contemporains, comment il est utilisé à des fins de propagande, etc.

Michel Pastoureau est un historien, spécialiste de la symbolique au Moyen-Age. Il est très connu pour ses travaux sur l’héraldique (la science des blasons), travaux qui l’ont conduit à s’intéresser à la symbolique des couleurs (sur lesquelles il a écrit plusieurs ouvrages), puis à celle des motifs (il l’explique dans l’Etoffe du Diable que les rayures sur un vêtement étaient perçues comme diaboliques). Le champ d’intérêt de sa discipline est quasiment infini, et il en parle au profane avec beaucoup de clarté. Sur cette page du CNRS, vous trouverez une bibliographie exhaustive de ce chercheur toujours en activité.

L’essai du mois

est nettement plus sérieux que le roman du mois. Je sais qu’il est de bon ton de décréter que ceux qui sont pas de chez nous sont nos ennemis, et que notre monde est menacé par le choc des civilisations, selon la formule désormais tristement célèbre d’un professeur américain du nom de Huntington. Cependant, il semble que les choses puissent être vues différemment, et qu’en particulier les différentes civilisations, bien loin d’entrer en collision, n’aient jamais été aussi proches.

C’est du moins la thèse défendue par Youssef Courbage et Emmanuel Todd, qui analysent les données démographiques de nombreux pays sur tous les continents. Au regard de ces chiffres, il parait évident qu’il y a une nette et inéluctable convergence vers le modèle occidental. De quoi se refroidir un peu la tête et cesser de se laisser impressionner par les vociférations xénophobes et va-t-en guerre qui fleurissent des deux côtés de l’Atlantique. On a peine à comprendre d’ailleurs comment diables ces vociférations pourraient aider à résoudre divers problèmes, pourtant fort inquiétants (Iran, Pakistan, Afghanistan pour ne citer que quelques exemples). Et si on réfléchissait un peu ?

Le Rendez-vous des civilisations, par Youssef Courbage et Emmanuel Todd, collection La République des idées, éditions du Seuil.

Le roman du mois

Bien sûr, le seul roman vraiment important à lire, si ce n’est déjà fait, est le Giono à votre programme. Comme je ne l’ai pas lu, je ne peut pas vous en parler, mais je crains qu’il ne tienne pas la route face à La Pierre et le Sabre suivi de La parfaite Lumière de Eiji Yoshikawa, disponibles chez J’ai Lu.

Le héros en est un certain Miyamoto Musachi, personnage historique du Japon du 17è siècle, traversé par les luttes incessantes que se livrent les seigneurs japonais. Musachi est un adolescent indiscipliné et bagarreur, une petite frappe qui ne respecte rien. Chassé de chez lui, il se laisse entrainer dans une guerre à laquelle il ne comprend rien. Il est dans le mauvais camp, et l’armée à laquelle il appartient est décimée lors de la célèbre bataille de Sekigahara, qui vit la victoire de celui qui allait devenir le premier Shôgun. Cette expérience le marque profondément, et l’engage à commencer une nouvelle vie : la voie du sabre. Escrimeur hors pair, il est, semble-t-il, encore célèbre aujourd’hui pour sa technique des deux sabres. Il fut également un excellent dessinateur.

Le roman de Yoshikawa est l’histoire romancée (très romancée) de Musashi, une sorte de roman de cape et d’épée, ou plutôt de kimono et de sabre, tout à fait palpitant, et propre à faire oublier que montrer « qu’une fonction n’est pas paire ne consiste pas à montrer que f(x) n’est pas égale à f(-x) car la valeur x=0 va toujours nous embêter ».

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le personnage, l’article de wikipedia est bien. En outre, on peut y voir quelques uns de ses dessins, dont un autoportrait, ainsi qu’un splendide martin-pêcheur.

Le roman du mois de juillet

Le roman du mois de juillet est la récompense suprême de l’année, un incontournable, un chef-d’oeuvre. Enfin un roman d’aventures, avec des gentils et des méchants, des rebondissements, du suspense, des batailles épiques, du courage, de l’amour. Le héros a un nom tout bête, il s’appelle Noisette. Au début, c’est un individu lambda, juste un peu plus curieux qu’un autre. Mais quand son frère a l’intuition qu’un malheur va survenir, il part avec quelques comparses dans une périlleuse exploration. Les embûches se multiplient sur sa route : fleuve en crue, ennemis de la même race commandés par l’infâme général Stakis, ennemis d’autres races qui ne demandent qu’à manger Noisette et ses amis, ennemis bipèdes amateurs de civet.

Vous l’aurez deviné, Noisette est un lapin. Et ses aventures en sont d’autant plus palpitantes : Les Garennes de Watership Down, de Richard Adams, édité en Français chez Flammarion. On peut déplorer que la couverture de la nouvelle édition soit aussi hideuse ; la précédente était d’une bien plus élégante sobriété, avec une reproduction de la magnifique aquarelle d’Albrecht Dürer datée de 1502 et visible à l’Albertina (à Vienne en Autriche). Soit dit en passant, des naturalistes comme vous ne peuvent pas rester insensible à l’oeuvre exceptionnelle de Dürer (c’est en base de l’article qu’il faut aller regarder).

Vous pourrez lire avec profit ce chef d’oeuvre en version originale (en Anglais rassurez-vous, pas en langue lapine) : Watership Down, édité chez Paperback. Dépêchez-vous, il n’en reste que 48 exemplaires disponibles sous deux jours chez Amazon pour la modique somme de $10,88 au lieu de $16.

Le livre de chevet des vrais lapinophiles. A avoir lu absolument.

L’essai du mois de juillet

L’essai du mois de juillet est une réponse à une question qui m’a été posée par quelqu’un lors d’une colle récente : « Mais … c’est vrai que Stéphanie, elle est jésuite ? », un peu comme si on demandait : « c’est vrai que Stéphanie a le béri-béri ? » ou « c’est vrai que Stéphanie vient de Pluton ? »

Rappel des faits : il m’est arrivé de traiter l’une ou l’autre d’entre vous de jésuite, et, il faut bien le reconnaitre, ladite Stéphanie n’y a pas coupé. Traiter quelqu’un de jésuite est une façon de dire qu’il coupe les cheveux en 4 ou se pose des questions qui compliquent la vie. Il n’y avait là rien de honteux ni de critique.

Comme il semble que le qualificatif de jésuite soit assez mystérieux pour certain-e-s, je vous propose une saine lecture : Jésuites, de Jean Lacouture, paru aux éditions du Seuil en deux tomes : Les conquérants et Les revenants. L’histoire des Jésuites, ou plus exactement de la Compagnie de Jésus, a quelque chose de fascinant. C’est au départ un ordre religieux banal, fondé en pleine contre-réforme, et qui se met au service direct du pape « pour la plus grande gloire de Dieu » (devise de l’ordre). Les Jésuites s’avèreront cependant d’une activité tout à fait hors du commun. C’est eux qui introduisirent le Christianisme au Japon (Saint François Xavier), qui convertirent presque la Chine au catholicisme n’eut été la rigidité du pape (c’est l’oeuvre du père Mattéo Ricci), qui créèrent nombre de missions en Amérique du Sud, etc. Fondateurs de nombreuses écoles en Europe, de nombreux Jésuites furent également de réels scientifiques, astronome en particulier, mais aussi plus près de nous paléontologues (Teilhard de Chardin).

Les Jésuites ont ceci de fascinant que, du moins dans les deux premiers siècles de leur existence, ils se sont arrogé une étonnante liberté de pensée, se sont pleinement engagés dans la politique (le père Coton auprès de Henri IV par exemple), et n’ont pas hésité à défendre des idées assez novatrices (les Indiens sont des Hommes). Ils ont cependant insensiblement glissé vers un conformisme rigide qui les a fait haïr de beaucoup (Voltaire ne s’est pas privé de les moquer).

Une agréable et instructive lecture pour bien comprendre les remarques de son ex-professeur de physique.

L’essai du mois de juin

Le livre que je vous propose ce mois-ci est un classique, que vous avez d’ailleurs peut-être déjà lu : La vie est belle de Stephen Jay Gould, édité au Seuil, et également disponible en collection points science. Dans toute la suite, les spécialistes qui lisent mon blog auront de l’indulgence pour l’ignare que je suis et sont invités à corriger mes inepties dans les espaces prévus à cet effet.

Gould est un auteur que j’aime bien à plus d’un titre. D’abord, c’est un scientifique de tout premier rang, qui a contribué à renouveler la vision de la théorie de l’évolution. D’autre part, c’est un scientifique qui fait l’effort de mettre à la portée du grand public les découvertes faites dans son domaine de recherche, et ceci avec beaucoup de réussite. Contrairement à d’autres livres de vulgarisation, ses ouvrages sont réellement à la portée de n’importe qui, et pourtant, Gould ne cède pas à la facilité de la simplification excessive. C’est un auteur qui considère que ses lecteurs sont a priori suffisamment intelligents pour comprendre des concepts compliqués, et qui d’autre part écrit suffisamment bien pour que le lecteur puisse effectivement comprendre lesdits concepts. En d’autres termes, Gould est de ces auteurs qui nous font nous sentir intelligents, et cela est naturellement très flatteur.

La vie est belle est centrée sur un endroit appelé le Schiste de Burgess, situé au Canada. Il s’agit d’une sorte de rêve de paléontologue et d’évolutionologue (ça, ça s’appelle un néologisme). Ce schiste a été formé au tout début du Cambrien, il y a 530 millions d’année, soit au cours de l’un des épisodes de plus grande prolifération d’espèces nouvelles. Il est l’occasion pour Gould de montrer comment la fonctionne la science à tous les niveaux, du plus bas : le travail parfois fastidieux de recherche (ici mettre au jours les fossiles, les trier, les classer, les reconnaitre), la nécessité d’une imagination débordante (essayez de reconstituer en 3 dimensions un animal inconnu dont vous n’avez que des traces écrabouillées en 2 dimensions !), l’interprétation des résultats au vu des connaissances passées (et ici il s’agissait pour le professeur Harry Whittington de confronter en 1971 ses résultats à des faits qui paraissaient solidement établis par Charles Walcott 60 ans plus tôt), et éventuellement l’émergence d’idées totalement nouvelles. En l’occurrence, le Schiste de Burgess a permis de découvrir des dizaines d’embranchements nouveaux, et a apporté de l’eau au moulin de ceux qui défendent une vision buissonnante de la théorie de l’évolution (ça part dans tous les sens) contre la vision linéaire de cette même théorie (ça avance toujours dans le même sens selon une ligne droite).

L’exposé de Gould est d’une limpidité totale, et son livre est presque construit comme une enquête policière. La partie que je préfère est celle où il expose le travail de reconstitution des animaux à partir des fossiles retrouvés, et comment c’est d’abord l’incrédulité qui a été de mise à la vue des ces êtres vivants qui ne ressemblent à rien de connu, et dont on se demande comment diable ils pouvaient fonctionner. Palpitant de bout en bout ! sans compter qu’à la fin, on voit un potentiel ancêtre. Qui eu crû qu’une telle chose, appelée Pikaia, pût donner un vertébré, disons – au hasard – un gentil petit animal au poil soyeux et aux longues oreilles. Qui a dit un âne?

Le roman du mois de juin

Rattrapé par l’actualité, je change mes plans. L’écrivain portugais José Saramago est mort aujourd’hui. C’est un auteur que j’admire énormément pour son originalité. Beaucoup de ses romans ont une intrigue totalement invraisemblable : détachement de la péninsule ibérique du continent européen (Le Radeau de Pierre), cécité simultanée de toute la population d’un pays (L’Aveuglement), refus de voter d’une ville entière (La Lucidité), rencontre entre Dieu et le Diable (L’Evangile selon Jésus-Christ), etc. Ces situations farfelues sont pour l’auteur un magnifique prétexte pour décortiquer avec minutie et de façon totalement impitoyable la société dans laquelle nous vivons et montrer les plus bas instincts toujours prêts à resurgir à la moindre occasion. Si je n’en avais qu’un à recommander, ce serait L’Aveuglement, paru aux éditions du Seuil, et également disponible en collection Points (où le roman s’appelle désormais Blindness/L’Aveuglement depuis qu’un film en a été tiré, sans commentaire). Comment, dans une société où tout le monde est devenu aveugle, la lutte pour la survie transforme les humains en barbares absolus. C’est à  frémir.

L’essai du mois de mai …

… parle aussi de mathématiques, mais pas seulement. C’est un livre qui commence à dater (1999) et dont certaines parties sont peut-être un peu dépassées. Il s’agit de l’Histoire des codes secrets de Simon Singh, édité chez JC Lattès et qui n’a pas l’air épuisé malgré son âge.

Ce livre présente le principe de différentes méthodes cryptographiques utilisées depuis Jules César et jusqu’aux méthodes actuelles (basées sur la factorisation des nombres premiers). Outre qu’il explique de façon détaillée et très pédagogique les méthodes de cryptage et de décryptage, Simon Singh présente également les circonstances historiques de l’utilisation de ces codes. On comprendra ainsi comment Elisabeth Ière  d’Angleterre a trouvé le prétexte pour exécuter sa cousine et concurrente Marie d’Ecosse, comment les Anglais ont brisé le chiffre des Nazis pendant la seconde guerre mondiale (leur fameuse machine Enigma), ce qui fut l’occasion de la réalisation des premiers circuits électroniques par Alan Turing, ou encore comment les Américains ont utilisés les Indiens Navarro pour leurs communications militaires dans la guerre contre le Japon.

C’est vraiment intéressant, et ça se lit comme un roman. C’est évidemment encore mieux si on fait l’effort de décortiquer les principes du chiffrement.

Le roman du mois de mai

Encore un mois à thème, à première vue moins enthousiasmant que le mois dernier : les mathématiques.

Un roman qui cause de maths, ça pourrait être terrible, mais ce n’est pas le cas d’Oncle Petros et la conjecture de Golbach, de Apostolos Doxiakis, édité chez Christian Bourgois, quatrième de couverture accessible sur cette page du site de l’éditeur (qui est nul, le site je veux dire, pas l’éditeur).

L’oncle Petros a été un fameux mathématicien, mais toute sa famille considère qu’il a gâché sa vie. Son neveu préféré, le narrateur, a l’ambition de devenir mathématicien, et va demander conseil à son oncle, pour son plus grand malheur. Etudiant dans une université américaine, le narrateur découvrira peu à peu la vérité sur la vie et l’échec de son oncle.

Outre que c’est un bon roman comme je les aime, avec une histoire dont on a envie de connaitre la suite et la fin, ce livre a l’avantage de montrer un peu au profane comment marche la recherche, et en particulier l’importance des publications scientifiques.

Vous pourrez préalablement demander à Monsieur K. un petit topo sur la conjecture de Goldbach :

tout nombre pair supérieur à 2 est la somme de deux nombres premiers

qui est toujours ni démontrée à ce jour ni infirmée par aucun contre-exemple. Vous pouvez aussi lui demander un topo sur le théorème de l’incomplétude de Gödel (ouille, je sens qu’il va m’aimer Mr K …). Cela dit, ce n’est nullement indispensable pour lire le roman.

L’essai du mois d’avril

Il est également sous le signe de la science fiction, mais diantrement sérieuse. Le livre est de Roland Lehoucq, qui n’est pas exactement le premier venu, puisqu’il s’agit d’un astrophysicien qui travaille au CEA. L’idée est la suivante : Roland Lehoucq, comme beaucoup de personnes de sa génération, a lu les aventures de Superman (ces petites BD à 2 balles, les comics). A la lumière de ses connaissances et compétences actuelles, il imagine tout ce qu’impliquent les exploits de Superman : ses bonds de 120 m, son aptitude à voler, à voir loin, à entendre à travers les murs, à être anéanti par la kryptonite, etc.

Le lecteur patient et amusé découvre ainsi comment doit nécessairement être la planète Krypton (patrie de Superman), et constate au fil du livre que Superman est en fait inévitablement un nabot aux énormes yeux et aux oreilles démesurées, qui doit chausser des sortes de bottes à semelles très très épaisses et un slip blindé. Tout ça est plein de physique et de biophysique très sérieuse et très drôle.

Le titre : D’où viennent les pouvoirs de Superman ? Physique ordinaire d’un super-héros. C’est disponible aux éditions EDP Sciences, une très respectable maison d’édition scientifique.