Comme vous le savez sans doute, le système international (SI) définit les unités de base à partir desquelles il est possible de définir toutes les autres. Elles sont au nombre de 7, dont le mètre et le kilogramme.
Le problème est évidemment de définir ce qu’est un mètre ou un kilogramme. Au départ, ces grandeurs étaient définies à l’aide de systèmes matériels, soigneusement conservés au Bureau International des Poids et Mesures, à Sèvres près de Paris. L’étalon du mètre par exemple était un barreau de platine et d’iridium, de même l’étalon du kilogramme est un cylindre de ce même alliage. Le problème est de savoir si ces étalons ont vraiment une masse ou une longueur constante. Pour la longueur, c’est évidemment non puisqu’un métal se dilate ou se contracte en fonction de la température, ce qui imposait des conditions de conservation particulièrement strictes. Il en est de même de l’étalon de masse qui prend environ 1 microgramme par an, parce que des poussières se déposent à sa surface, et ce malgré un dépoussiérage régulier.
L’idée est donc de définir des étalons virtuels, et ceci peut se faire à l’aide de constantes universelles de la nature. L’étalon du mètre a déjà été dématérialisé il y belle lurette ; un mètre est défini à partir de la seconde et de la vitesse de la lumière (qui est une constante universelle), la seconde étant elle même définie à partir d’une transition électronique dans un atome (de césium je crois, mais je ne suis plus trop sûr et j’ai la flemme de vérifier). L’étalon historique du mètre est bien sûr encore visible, mais il n’a plus qu’un intérêt … historique.
Se débarrasser de l’étalon du kilogramme est loin d’être si simple, mais il semble bien que ce soit imminent. Le principe serait d’utiliser une balance de Watt, qui permet de relier une masse à un effet électromagnétique parfaitement calibré par des constantes universelles.
Tout ceci est un petit résumé d’une info de la Société Chimique de France, que je reproduis in extenso ci-dessous, pour ceux qui veulent en savoir plus. Je précise également que le site du BIPM est accessible par un simple clic sur la barre des liens à droite. Vous y trouverez des photos de l’étalon du mètre et du kilogramme.
Verbatim :
A 131 ans, après avoir survécu à deux guerres mondiales, l’étalon du kilogramme est plus que jamais menacé. Les chercheurs, qui veulent sa peau depuis plusieurs décennies déjà, ont peut être enfin trouvé le moyen de s’en débarrasser. Le National Institute of Standarts and Technology (NIST) semble avoir démontré que ses travaux permettront de redéfinir le kilogramme lors de la réunion du Comité International des Poids et Mesures (CIPM) à Paris en octobre. Une proposition en ce sens a reçu un avis favorable et elle devrait être sérieusement étudiée lors de la Conférence Générale des Poids et Mesures (CGPM) qui se tiendra en octobre 2011.
Pourquoi vouloir remplacer ce cylindre de platine et d’iridium qui semble imperméable aux effets du temps ? Justement, tout est dans le « semble ». En réalité, chaque année, l’étalon du kilogramme prend du poids ! Un microgramme environ. Il existe un protocole de nettoyage mais rien n’assure que la séance d’amaigrissement fonctionne parfaitement. Etant l’étalon, sa masse officielle est toujours théoriquement d’un kilogramme. Conclusion, quand il grossit, ce sont en fait toutes les balances du monde qui se trouvent déréglées. Un microgramme, cela ne parait pas beaucoup. Mais pour assurer la précision et la reproductibilité des mesures scientifiques, cette variation est beaucoup trop importante. De plus, l’étalon matériel international, conservé à Paris, peut être détruit et il n’est pas facilement reproductible. Chaque pays possède une copie, un étalon national, qui sert à faire de nouvelles copies qui peuvent ensuite être utilisées pour calibrer balances et autres instruments de mesure. A chaque reproduction, la précision de l’étalon obtenu baisse. Il faut donc trouver une manière de dématérialiser cet étalon, c’est-à-dire d’en donner une définition qui permette de produire un kilogramme facilement et avec une excellente précision.
Les chercheurs n’en sont pas à leur première victime. Il y a tout juste 50 ans, lors de la 11ème CGPM [1] le Système International d’Unité (SI) était établit. Au passage, la définition du mètre était modifiée permettant de se débarrasser de l’étalon matérialisé en 1889 sous forme d’un barreau de platine et d’iridium d’un mètre de long.
Sept unités de base forment le système international : le mètre (longueur), la seconde (durée), le kilogramme (masse), l’ampère (courant électrique), le kelvin (température), la mole (quantité de matière) et la candela (intensité lumineuse) [2]. Elles sont indépendantes et permettent d’exprimer toutes les autres grandeurs mesurées. La vitesse par exemple s’exprime en mètres par seconde. Le SI a été adopté par tous les pays du monde à l’exception du Liberia, du Myanmar et… des États-Unis ! Intéressant de voir donc que malgré cela, le NIST concentre une partie de ses activités sur le SI.
Pour atteindre une précision maximale dans la définition des étalons pour chaque unité du système international, il faut utiliser des repères les plus stables possibles. Les progrès de la physique ont permis de découvrir ces repères stables dans la nature : les constantes fondamentales. Ces grandeurs sont considérées, dans les théories actuelles, comme invariables dans le temps et dans l’espace. La vitesse de la lumière en est un exemple. En 1960, la seconde étant définie de manière relativement précise, il a suffit de fixer la vitesse de la lumière pour définir le mètre. Et ainsi se débarrasser du barreau de platine iridié. Le mètre est maintenant défini comme la distance parcourue par la lumière pendant une durée de 1/299 792 458 seconde.Cet exemple montre que, bien que les unités soient indépendantes, la définition d’un étalon peut faire appel aux autres unités. A l’heure actuelle par exemple, les définitions de la mole, de l’ampère et de la candela font appel au kilogramme (figure 2). L’imprécision sur l’étalon du kilogramme implique donc aussi une imprécision sur les autres unités.
Pour pouvoir définir les sept unités de base, il faut fixer la valeur de sept constantes fondamentales. Leur choix dépend des protocoles expérimentaux qui permettent de produire les étalons. Connaissant la relation mathématique entre fréquence et longueur d’onde d’une onde monochromatique – impliquant la vitesse de la lumière – il est possible de produire un étalon du mètre avec un laser, si la seconde est bien définie et si la vitesse de la lumière est fixée. Dans ce cas, il y a une dépendance unique entre mètre et seconde et donc besoin d’une seule constante. Etant donné les relations de dépendance entre étalons, la dématérialisation du kilogramme implique de fixer la valeur de plusieurs constantes fondamentales en même temps.
Avant de fixer des constantes simultanément, il faut s’assurer que les différents protocoles expérimentaux mis en place pour définir les étalons assurent une définition assez précise de la valeur de chaque constante. Cela est important aussi pour éviter une variation trop forte entre l’étalon actuel et l’étalon futur. Et c’est justement là que le bât blesse. Les protocoles expérimentaux en place ne permettaient pas jusqu’à présent d’atteindre un assez bon niveau de précision. Mais les efforts de ces dernières années semblent enfin être payants.
Au NIST, les chercheurs travaillent sur une expérience qui pourrait permettre de dématérialiser le kilogramme : la balance de Watt (figure 3). Il s’agit d’un instrument qui utilise différentes lois physiques pour convertir l’effet d’une masse en un effet électromagnétique mesurable [3]. Les calculs décrivant cette conversion permettent de définir le kilogramme en fonction de la constante de Planck. Une autre méthode concurrente, notamment soutenue par les australiens [4], consiste à fabriquer une sphère contenant précisément une mole de silicium nécessitant alors de fixer la constante d’Avogadro. Il existe donc des enjeux diplomatiques importants dans les négociations qui vont conduire à l’adoption d’une nouvelle définition.
Il semble au final que les limitations sur la précision de la balance de Watt soient aujourd’hui levées ouvrant la voie à une nouvelle définition du kilogramme et la naissance d’un étalon dématérialisé. Pour assurer la réalisation de cette définition, une dernière difficulté demeure. Il reste à assurer le développement des balances de Watt afin de permettre à chaque pays de bénéficier d’une manière de produire un étalon fiable. Cependant, cela n’empêchera sans doute pas le kilogramme de disparaître très prochainement.
Contacts
– [1] Résolution 12 de la 11ème CPGM instituant le SI : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/85Klr
– [2] Brochure du CIPM sur le SI : http://www.bipm.org/utils/common/pdf/si_brochure_8_fr.pdf
– [3] Description du fonctionnement de la balance de Watt :
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/LLSls
– [4] Nouvel étalon du kilogramme, BE Australie 53, M. Le Gleuher, 03/09/2007 –
www.bulletins-electroniques.com/actualites/50716.htm
Sources
‘Si’ on the New SI: NIST Backs Proposal for a Revamped System of Measurement Units, NIST News, B. Stein, 26/10/2010 – www.nist.gov/pml/wmd/20101026_si.cfm
ADIT, BE États-Unis (N°225, 5 novembre 2010)